mercredi 8 juin 2011

Comment la Chine se prépare-t-elle à l'éventualité d'un peak uranium?

Mine d’Uranium de Somaïr, à Arlit au Niger

LE PEAK URANIUM ET LE DÉVELOPPEMENT NUCLÉAIRE CHINOIS

Une déclaration d’officiels chinois en 2009 a fait encore une fois jaillir sur le devant de la scène la question de la durabilité des ressources mondiales en Uranium. Ceux-ci ont reconnu que leurs objectifs de développement de centrales nucléaires, annoncé notamment dans le « Mid-long term nuclear development plan » en 2006, pourraient mettre en péril la sécurité de l’approvisionnement mondial en Uranium. Et la Chine n’est pas la seule. En 2009, le Wall Street Journal révélait que l’Inde rencontrait déjà des difficultés d’approvisionnement pour 11 de ses 17 centrales, par manque de production d’Uranium indigène.

Le peak uranium

La peur d’atteindre prochainement le “Peak Uranium” peut provenir de la simple résolution d’une équation : le monde actuel consomme beaucoup plus d’uranium qu’il n’en produit. Les derniers chiffres produits par l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) évaluaient une consommation globale annuelle de 69000 tonnes, alors que la production minière globale était estimée à 43000 tonnes :

DEMANDE D’URANIUM PAR PAYS - 2007
(Source: Rapport du MIT - 2009)











PRODUCTION D’URANIUM PAR PAYS - 2005
L’équilibre entre production et consommation est aujourd’hui maintenu grâce à deux provenances limitées : les excédents commerciaux, et l’utilisation de matière fissile provenant du secteur militaire. Les excédents commerciaux sont en constante diminution. Quant à l’uranium issu des têtes nucléaires, il sera inévitablement épuisé lorsque le quota de réduction des têtes nucléaire sera atteint, selon le seuil fixé par les deux grandes puissances américaines et russes lors des nouveaux accords START signés le 8 avril 2010. C’est donc grâce à deux facteurs épuisables que les besoins actuels en uranium sont satisfaits.

D’après le scientifique suisse Michael Dittmar, du Swiss Federal Institute of Technology à Zurich, si l’on se base sur la flotte nucléaire mondiale actuelle: “without access to the military stocks, the civilian western uranium stocks will be exhausted by 2013”.
En outre, une étude de 2001 de l’AIEA estimait que la quantité de ressources primaires et secondaires d’uranium aura atteint son peak en 2050. Plus récemment, une étude du MIT parue en Juin 2009 et intitulée « Assessments of long-term uranium supply availability », se basant sur une croissance annuelle constante du taux de production d’uranium, et une évaluation moyenne des réserves, l’institut du Massachussetts prévoit quant à lui un peak de production en 2076.

En 2007, le prix de l’uranium a connu une hausse très rapide, et atteint des niveaux sans précédent en monnaie courante, observant une hausse de 1000% depuis 2001. Beaucoup d’analystes y ont vu le signe d’une raréfaction des ressources et d’un rapprochement du peak uranium. Quelles sont les raisons de ce pic de prix ? Est-ce un signe avant-coureur d’une raréfaction des ressources ? Dans quelles conditions se trouvait le marché ?

Avant cette période de pic, la production des mines (ressources primaires) représentait moins de 60% de la consommation totale du parc nucléaire mondial, le complément d’offre, plus de 20%, (ressources secondaires) provenait des excédents commerciaux à plus de 20%, et le reste, des écoulements des stocks militaires. La demande, représentée par le parc nucléaire mondial, voyait sa croissance ralentir, en raison notamment de perspectives de long terme peu encourageantes et à cause de réacteurs qui avaient atteint un niveau de production quasi optimum, et donc peu perfectible. Le marché, caractérisé par des prix bas (environ 10$/livres d’U), était équilibré mais ne permettait pas de nouvel investissement minier significatif, ni de relance de l’exploration. L’uranium faisait l’objet de peu d’intérêt, seules les ressources à faible coût, en phase avec les prix du marché étaient courtisées, soit les catégories inférieures à 40 $/kg U ou 15 $/lb U3O8, selon la classification OCDE/AIEA. Les stocks excédentaires se réduisant comme une peau de chagrin, et la matière fissile de qualité militaire diminuant aussi, (même si les accords START signés le 8 avril dernier vont donner au marché un second souffle en permettant la réutilisation de l’uranium des têtes nucléaires démontées), une relance de la production devenait nécessaire… Or, l’offre primaire issue de la production des mines voyait sa marge de manœuvre réduite pour faire face à une hausse de la demande : la hausse des prix était inévitable.

Pic de prix de l’uranium et influence de la Chine

Le point de départ du pic de prix débute en 2003, juste après que la Chine ait annoncé sa volonté de développer considérablement sa flotte de réacteurs nucléaires, ce qui fut par la suite officialisé par la diffusion du « Mid-long term nuclear development plan » en 2006. Les effets conjugués de la prise de conscience mondiale du besoin futur de la Chine (effet principal selon nombreux experts), associé à celui de l’Inde, ajouté à la hausse des combustibles fossiles, ainsi qu’à la volonté politique de prendre des mesures efficaces pour émettre moins de CO2, ces effets vont mettre en place un contexte favorable au développement du nucléaire. Mais compte tenu de l’insuffisance de l’offre, le déséquilibre résultant ne pouvait se traduire que par une hausse des prix, qui va être notamment renforcée par l’arrivée de spéculateurs achetant de l’uranium pour tirer partie de la hausse. Les tensions du marché ont par ailleurs été exacerbées par l’ennoiement du projet minier de Cigar Lake, au Canada.
L’engouement chinois pour le nucléaire, et les autres facteurs vont donc entraîner une flambée des prix. Mais cela a aussi permis de relancer l’investissement pour la production et l’exploration :

DÉPENSES MONDIALES D’EXPLORATION POUR L’URANIUM ($1000) ET PRIX SPOT DE L’URANIUM ($/KgU)
(Source : Rapport du MIT - 2009)










Le plan de développement chinois face aux réserves d’uranium

Le programme nucléaire chinois démarre au cours des années 1950 sous Mao Tse Tong, et commence par des recherches sur les applications militaires avec l’aide de l’Union Soviétique. Les premières mines d’uranium sont ouvertes, notamment au nord-ouest du pays. Un programme nucléaire civil est lancé en 1970, mais retardé par la révolution culturelle. En 1980 commence la construction du premier réacteur, Qinshan 1 (300MW), et il est mis en service en 1991. Commence d’ailleurs à cette période la coopération franco-chinoise, avec la signature d’un mémorandum d’entente en mai 1983 pour la fourniture de 4 réacteurs de 900MW, et d’un transfert de technologies. En 1990, le leitmotiv exprimé par les officiels chinois est le suivant : « Compter sur ses propres forces et coopérer avec l’étranger pour bénéficier des progrès technologiques », et le parc nucléaire se développe :

- 2 VVER 1000 MW (Tianwan)
- 2 CANDU 700 MW (Qinshan 3)
- poursuite du développement des réacteurs REP avec transfert de technologie et début de localisation des composants
- Qinshan 2 phase 1 (2 X 600 MW)
- Ling Ao phase 1 (2 X 990 MW)

Au début des années 2000, la Chine annonce sa volonté de “développer l’électronucléaire de manière accélérée”. L’objectif de puissance affiché est d’atteindre le seuil de 40 à 70 GW, grâce notamment au déploiement rapide de technologies déjà maîtrisées (G2+) et la réplication des modèles Ling Ao phase 2, ainsi que par l’importation et l’assimilation des technologies de 3ième Génération. En 2009, le nucléaire représente 1,9% de la production totale chinoise (Voir figure), et elle devrait atteindre 6% à l’horizon 2020.


(Source: Nuclear Energy Institute (US))
















Cependant cette production de 1,9% d’électricité place tout de même la Chine à la 7ième place mondiale de producteur d’énergie électronucléaire en 2006 :



(Source: Nuclear Energy Institute (US))














Il y a actuellement 11 centrales nucléaires en exploitation, et 14 projets représentant plus de 30 unités en construction :

LES CENTRALES NUCLÉAIRES CHINOISES A L’HORIZON 2020 :

(Source : Source: Mid-Long Term Nuc. Development Plan)










A court terme, la Chine semble peu inquiète de sa capacité à atteindre ses objectifs, en ce qui concerne les réserves d’uranium. Pan Zhiqiang, directeur du department Science et Technologies au sein de la China National Nuclear Corporation (CNNC), un des deux organismes de développement nucléaire contrôlé par l’Etat, rejoint cette vision. Et il a ainsi déclaré en 2009 : "reaching 70 GW before 2020 will not be a big problem". Il ajoute même que la Chine pourrait aller au-delà : "There are also estimates that by 2030, total capacity will reach 200 gigawatts, and by 2050, 1,000 gigawatts". Selon Pan, il n’y a absolument aucun problème à ce que la Chine trouve assez d’uranium pour faire tourner cette flotte nucléaire. On aimerait le croire sur parole…
Sur le long terme cependant, tout le monde ne partage pas cet optimisme. Zhou Zhenxing, qui dirige l’unité de développement d’uranium à la China Guangdong Nuclear Power Corporation (CGNPC), le second organisme contrôlé par l’Etat, concède que l’acquisition d’uranium en quantité suffisante pourrait s’avérer être un grand défi : "The uranium market in the future faces a lot of uncertainties with not a small supply shortage". Ce type de déclaration, si elle avait eu de l’écho sur la scène internationale et sur les marchés des matières premières, serait tout à fait propre à faire flamber les prix du « Yellow cake ».


LA STRATÉGIE CHINOISE : CONSTITUER UN STOCK STRATÉGIQUE D’URANIUM

La Chine a annoncé vouloir adopter une stratégie de constitution de "stocks stratégiques d'uranium", et prendre des participations dans des minières stratégiques. Les autorités chinoises pousseraient ainsi actuellement leurs entreprises nationales à acheter plus de matière radioactive, et à prendre des participations dans des minières d'uranium pour sécuriser les approvisionnements futurs.

Les deux organismes sous contrôle de l’Etat sont donc partis à la recherche de nouvelles mines d’uranium pour nourrir les actuels et futurs réacteurs chinois.
Le CGNPC est donc parti à la conquête de réserves au Kazakhstan, en Ouzbékistan, en Australie et en Namibie. Le 29 Avril 2009, Pékin célèbre au Kazakhstan la création de la première joint venture pour ressource d’uranium en Centre-Asie : une compagnie nommée Semizbay-U LLP. La veille, les premières activités minières sino-kazakhes commençaient, fruit d’une coopération entre CGNPC et Kazatomprom.
En Australie, CGNPC est en phase de conclure un accord pour acquérir 70% de la société d’exploration minière Energy Metals, par le biais de sa filiale China Uranium Development (CUD), sur la base de $0.88 par action.
Le 7 octobre 2008, Anne Lauvergeon, Présidente du Directoire d’AREVA a signé un accord avec CGNPC, permettant à la compagnie chinoise, ainsi qu’à des fonds souverains chinois d’entrer à hauteur de 49% au capital d’UraMin, société minière détenue jusqu’ici à 100% par le groupe AREVA, qui restera malgré tout l’opérateur des projets présents et futurs. Cet accord garantit à CGNPC l’accès à plus de la moitié de la production totale d’UraMin. Cela sécurise de ce fait la commercialisation de cette production, estimée à 18 millions de livres d’uranium à partir de 2012, concernant des projets en Afrique du Sud, Namibie et en République Centre- Afrique.
Afin de se consoler de son échec récent en Mongolie, CNNC a signé le 26 janvier dernier un accord avec le Niger pour acheter 37,2% des parts de la mine d’Azelik, en acquérant pour $53,3 million la société Ideal Mining Ltd. Lors de l’annonce de l’acquisition, le contrôleur financier de CNNC a déclaré que la compagnie avait comme objectif d’augmenter considérablement son stock stratégique par d’autres acquisitions au Kazakhstan, et a ajouté : "We hope to become the largest uranium supplier in China in the long run. We will buy more uranium mines through acquisitions or our parent if the project can deliver a reasonable return for us".

D’après les chiffres de la China Nuclear Industry Association, la Chine a actuellement développé des réserves de seulement un tiers de la quantité d’uranium requis pour alimenter la capacité prévue de 40GW pour 2020. Le pays aura donc besoin d’investir encore en exploration et en acquisition de compagnies minières si elle veut pouvoir soutenir sa demande. La compagnie CGNPC a évalué elle-même qu’elle aurait besoin de 10000 tonnes d’uranium en plus par an pour l’année 2020, or CGNPC contrôlant la moitié de la capacité nucléaire chinoise, on peut donc estimer à 20000 tonnes d’uranium le besoin pour 2020 : on est très loin des 769 tonnes produites en 2008, d’après la World Nuclear Association.

Le besoin de la Chine de développer de nouvelles mines sur le long terme est donc urgent, si l’on ne veut pas que les prix s’envolent de manière spectaculaire, comme ce fut le cas de 2003 à 2007. Pan, de CNNC, évoque tout de même cette nécessité: "Uranium supplies don't constitute an obstacle to the development of nuclear power in China, but we must strengthen our prospecting work, and our research into prospecting technologies. This is absolutely crucial.". Il temporise en outre, arguant que les problèmes d’approvisionnement ne devraient pas non plus être surévalués. Il prend l’exemple du Japon et de la Corée du Sud, qui à défaut d’avoir leur propres productions d’uranium, font tout de même tourner leurs réacteurs en faisant reposer leurs approvisionnements sur les importations.
Ce que M. Pan oublie cependant, c’est que les besoins japonais et sud-coréens ne correspondent en rien à la réalité de l’immensité du besoin chinois.

2 commentaires:

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  2. Merci de partager des informations utiles avec nous au sujet de l'uranium. Votre information va certainement aider les lecteurs et s'il vous plaît continuer à partager encore plus d'information avec nous.


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