mercredi 8 juin 2011

L'industrie électrique au Brésil

La centrale hydroélectrique d'Itaipu

L’évolution du secteur électrique au Brésil est comparable à celle du secteur pétrolier, bien que leurs situations respectives actuelles soient bien distinctes.
Après une longue période de fermeture du marché aux capitaux étrangers et à la concurrence, les réformes énergétiques déclenchées au milieu des années 1990, axées sur le binôme libéral « Ouverture des réseaux/privatisation », ont permis d’ouvrir le marché, dans l’objectif d’attirer des investisseurs étrangers et de développer le secteur.
Néanmoins, ce tournant considérable opéré dans le secteur énergétique nécessite des réformes structurelles et institutionnelles, ce qui n’a pas encore été totalement accomplis dans le secteur électrique.
Après le changement de gouvernement en 2003, de nouvelles réformes ont été lancées, visant en particulier à corriger les imperfections révélées par la crise de l’approvisionnement électrique en 2001.


LE SECTEUR ÉLECTRIQUE EN GÉNÉRAL

La plus grande partie de la production d’électricité provient de l’Hydroélectricité.
Pendant des périodes de sécheresse comme en 2001, une forte baisse de génération entraîne une crise de rationnement.
En 2001, c’est presque la moitié de la quantité d’énergie générée (2.506,0 MW) qui n’a pas été fournie par rapport à l’année précédente (4.261,7 MW) et suivante (4.638,4)

Parmi toutes ses centrales hydroélectriques, le Brésil s’illustre par le barrage d’Itaipu, qui est la plus grande centrale hydroélectrique du monde.
Elle appartient au Brésil et au Paraguay qui se partagent chacun la moitié de la production.
Il faut bien distinguer la production d’électricité, et la distribution et le transport, qui sont deux activités bien distinctes, généralement opérée par des compagnies différentes.
La dimension continentale du pays complique le réseau de transport électrique, ce qui a pour conséquence l’absence d’apport en électricité jusqu'à certaines régions éloignées.

Avant les réformes de 97, le système brésilien était centré autour d’ELETROBRAS, entreprise holding de l’Etat fédéral, responsable de :

– La coordination technique et financière du secteur
– La planification des investissements à long terme.

L’ÉVOLUTION DU SECTEUR ÉLECTRIQUE : DES REFORMES EN RÉPONSE AUX DIFFICULTÉS RENCONTRÉES

Avant les réformes de 97, le système brésilien était donc structuré autour de l’entreprise d’État ELETROBRAS:

- Production et transport d’électricité étaient assurés par quatre grandes compagnies inter-régionales, détenues par la holding ELETROBRAS.
- La distribution était répartie entre une trentaine de compagnies publiques.

Les difficultés

Dans les années 80, le secteur brésilien a dû faire face à des difficultés importantes, notamment sur le plan financier. Les charges des compagnies n’étaient pas compensées par les tarifs, dont le niveau était imposé par l’Etat.
En 1993, le secteur était proche de la banqueroute, ce qui obligea l’Etat fédéral à intervenir. Il prit à sa charge 26 Md$ de dettes consolidées des compagnies, conséquence directe des anciens tarifs. (Source : ISTED, Institut des Sciences et des Techniques de l’Equipement et de l’Environnement pour le Développement)

Les réponses

Suite à ces difficultés, c’est par un décret du 9 Novembre 1995 que s’amorce la réforme du secteur électrique brésilien.
Ces réformes s’appuient sur les éléments suivants :

1. La création d’une agence régulatrice indépendante: L’ANEEL.
L’ANEEL définit tous les plans d’expansion de production, transmission et distribution de l’énergie électrique.
2. Introduction de la concurrence et déverticalisation des activités de production, transport, distribution et commercialisation
3. Ouverture des réseaux et introduction des mécanismes de libre accès
4. Définition de nouveaux mécanismes de réglementation
5. Privatisation partielle ou totale des compagnies publiques

De façon schématique, on peut affirmer que la réforme avait un double but :
– Accroître l’efficacité de l’industrie électrique
– attirer des capitaux privés pour le développement de projets électriques

Les privatisations

La reconstitution du secteur prévue par la réforme est :
– 75% de la distribution est aux mains d’investisseurs privés
– 80% de la production reste publique

L’évolution de cette reconstitution est la suivante :

– 18 compagnies de distribution d’électricité ont été privatisées entre 1995-2000. En Mai 2003 toutes ces entreprises distribuaient environ 65% de l’énergie totale brésilienne. A côté des entreprises brésiliennes, des entreprises américaines, européennes et sud-américaines se partagent actuellement la distribution de l’électricité au Brésil. (Source : Mission Economique de l’ambassade de France)

– Le processus de privatisation des compagnies publiques de production a été amorcé en 1998 par la privatisation de Gerasul (10% du marché de la production). En 2003 15% du secteur de la production, soit seulement 5% de plus qu’en 1998, se trouvait sous la responsabilité d’entreprises privées. (Source : ISTED, Institut des Sciences et des Techniques de l’Equipement et de l’Environnement pour le Développement)

On voit bien au travers de ces pourcentages que le quota de privatisation prévu par les réformes n’a pas été atteint, ce qui confirme que les réformes n’ont pas été achevées.

LE BILAN DES REFORMES DE 97 : ÉCHEC OU RÉUSSITE ?

Les réussites

1) La politique d’électrification des campagnes, « Luz no campo », lancée en Janvier 2000 par le gouvernement fédéral.

Globalement ce programme a reçus un bilan positif, même si malheureusement le manque de chiffres permet difficilement de se rendre compte de l’avancement actuel.
ELETROBRAS a supporté techniquement et administrativement le projet, ainsi que 75% de la partie financière (1,7Md R$) (15% par le groupe Neoenergia COELBA, et 10% par les municipalités)
(Source : ministério de Minas e Energia & COELBA Neoenergia)

Finalités :
– Amplifier l’électrification rurale. La raison principale de la migration urbaine est l’absence d’électricité dans les campagnes.
– Intégrer des programmes et des actions visant le développement rural

En termes de pourcentage, les objectifs d’électrisation du pays, État par État, sont représentés par le tableau suivant:


Dans la continuité de ce programme, a été lancé le 11 Novembre 2003 le programme « Luz para todos », toujours avec la participation d’ELETROBRAS.
Ce programme mis en place par le gouvernement Lula devrait permettre l’accès à l’électricité à 12 millions de brésiliens, concentrés à 80% en zone rurale.
90% de ces familles ont un revenu trois fois inférieur au revenu moyen au Brésil.
(Source : ministério de Minas e Energia)
A cet effet, un budget de 7 milliards de Reais a été prévu. (Source : Mission Economique de l’ambassade de France).

2) La privatisation et l’arrivée des investisseurs étrangers

Lors des enchères pour la reprise des compagnies publiques de distribution, la majorité des grands opérateurs internationaux ont montré un intérêt pour le marché brésilien.
C’est le cas de :

– EDF
– De grands groupes américains : HOUSTON, ENRON,
– AES, ENDESA, EDP, TRACTEBEL

Les grandes motivations d’entrée pour ces firmes étrangères au Brésil :
– La recherche de nouveaux relais de croissance, et le gain de nouveaux marchés, notamment pour les entreprises dont le potentiel de développement est limité dans leur pays d’origine. C’est dans une logique d’expansion horizontale que le secteur électrique brésilien représente pour ces compagnies une véritable opportunité. Exemple : EDF, EDP, ENDESA

– L’apprentissage de nouvelles activités, permettant à des firmes non présentes sur ce segment du secteur de l’électricité d’étendre leurs compétences.
Par exemple : de l’amont à l’aval : De la production, à la distribution

– La diversification pour des entreprises qui viennent de secteurs voisins
C’est le cas d’Enron, traditionnellement implanté sur le marché du gaz aux Etats-Unis, et qui diversifie ses activités en investissant dans la production et la distribution d’électricité au Brésil, comme dans nombreux d’autres pays.

Ainsi, le Brésil donne l’exemple d’une expérience où l’ouverture du secteur privé se traduit par une entrée massive de firmes étrangères, dont le principal objectif est de se positionner sur un marché en croissance.
L’ouverture du marché, caractérisée par l’entrée de ces firmes étrangères, est la première étape indispensable au développement de n’importe quel secteur de l’Energie. Il s’agit donc ici bien d’une réussite.

Les échecs

1) La crise de l’approvisionnement électrique en 2001

Le Brésil observa une rude sécheresse durant l’année 2001.
Or, la plus grande partie de la production électrique du pays provient de l’hydroélectricité.
Ainsi, la chute du niveau des réservoirs d’eau a entraîné une crise dans la situation de l’approvisionnement général en électricité du pays.

Il est clair que les causes naturelles contribuent à expliquer ces difficultés d’approvisionnement, néanmoins, le cadre incomplet des réformes a retardé le développement de nouveaux projets et a augmenté sensiblement le degré de vulnérabilité du système.
Cette chute du niveau des réservoirs d’eau a obligé le gouvernement à constituer une commission spéciale chargée de gérer les périodes de crises : la CGE (Câmara de Gestão da Crise de Energia Eléctrica)
La création de cette commission illustre la volonté du gouvernement de rattraper tardivement les mécanismes de coordination, censés être déjà institués par les réformes de 97.

2) Le bouleversement de la situation économique des compagnies électriques

Suite à cette crise de l’approvisionnement, la situation économique et financière des compagnies du secteur électrique a été bouleversée en 2001 et 2002.

- Tout d’abord, la réduction de la demande pendant cette période de rationnement en électricité a provoqué des pertes importantes, particulièrement pour les compagnies de distribution.
- De plus, la campagne d’information du gouvernement pour réduire la consommation électrique pendant la crise d’approvisionnement ayant été très efficace, le niveau de demande est difficile à retrouver, même jusqu’à aujourd’hui.

Le graphique ci-dessous illustre l’évolution de la demande en électricité entre 1999 et 2002, illustrant très bien la chute de la demande lors de la crise, ainsi que la reprise difficile de la demande, même à l’issu de celle-ci. (Source : Institut d’Economie de l’Université Fédérale de Rio de Janeiro)


– Ensuite, la détérioration du taux de change a rendu plus difficile la situation du bilan des compagnies.
En effet, les nouvelles compagnies étrangères entrant sur le marché, par le biais des privatisations, avaient des perspectives de résultats financiers fondés sur des rendements fondés en dollars.
Or, pendant la période 1997-1998, lors de la réalisation de la plupart des opérations de privatisation, le taux de change était au-dessous de R$ 1,5 ; en septembre 2002, il a dépassé le seuil de 3,5 R$ pour 1 US$. (Source : banque centrale du Brésil)
Ainsi, pour obtenir des bénéfices comparables aux valeurs internationales, les entreprises doivent augmenter les tarifs de l’électricité dans la mesure où ils sont payés en Reais, les bénéfices étant calculés en Dollars.
Cette situation a pour conséquence d’exercer une pression constante sur l’établissement des tarifs, sachant qu’une importante partie de la population ne peut faire face à ces augmentations, ce qui porte obligatoirement préjudice au revenu des entreprises du secteur électrique. Dans ces conditions, la rentabilité espérée par un investisseur étranger comme EDF, fut bien inférieure à celle espérée.
Cette pression du taux de change surgit à chaque dévaluation du Real par rapport au Dollar. Ceci constitue donc un grand obstacle pour la croissance et l’ouverture totale du système énergétique national.
Il s’agit d’avantage d’un problème politique, qu’économique ou technique.

FACE A L’ECHEC DE 97 : LA REACTION DU GOUVERNEMENT LULA

En décembre 2003, le gouvernement de Luiz Inacio « Lula » Da Silva a annoncé les traits saillants du nouveau modèle institutionnel de l’industrie électrique.
D’une manière schématique, cette « réforme des réformes » est marqué par :

– Priorité accordée à la sécurité de l’approvisionnement électrique
– Création de deux environnements contractuels : régulé (ECR) et libre (ECL)
– Création de nouvelles institutions pour assurer les objectifs de coordination des décisions d’investissement et d’opération(Source : Institut d’Economie de l’Université Fédérale de Rio de Janeiro)

Il est évident que le premier point, sur la sécurité de l’approvisionnement électrique, est afin d’éviter de retomber dans la crise de 2001. Pour tenir cet objectif majeur, le gouvernement a fixé l’obligation contractuelle pour les compagnies de distribution de racheter 100% de l’électricité avec un délai d’anticipation de cinq ans.

Au sein de l’environnement contractuel régulé (ECR), chaque producteur d’électricité devra vendre une fraction de sa capacité à chacune des compagnies de distribution, ceci dans le but d’assurer les mécanismes de développement des projets électriques.
L’environnement contractuel libre (ECL) est le cadre lequel se déroulera les rapports commerciaux pour desservir les consommateurs déclarés libres.

En ce qui concerne la création de nouvelles institutions, le gouvernement prévoit la création d’une compagnie d’État (Empresa de Pesquisa Energética-EPE).
Cette compagnie sera responsable d’assurer les taches de planification, mais également pour les conditions relatives aux mises aux enchères des concessions de nouveaux projets électriques où le vainqueur sera celui qui propose le plus faible prix de revient de l’électricité.

Il est intéressant de noter que cette « réforme des réformes » est très axée sur les problèmes de rupture d’approvisionnement, ceci sûrement en raison de la série récente de black-out impressionnants dans l’industrie électrique mondiale :

– En Europe de l’Ouest, le 4 Novembre 2006
– En Italie, le 28 Septembre 2003
– Au Canada et Nord des USA, le 14 Août 2003
– En Californie en 2000 et 2001

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