mercredi 8 juin 2011

Les transferts français vers l’Inde: source d’affaiblissement ou de renforcement du régime de non-prolifération ?


D'UN AFFAIBLISSEMENT À UN RENFORCEMENT DU RÉGIME DE NON PROLIFÉRATION

Le cas de l’Inde, puissance nucléaire non-membre du TNP pose problème, tout comme Israël et le Pakistan. L’existence même des capacités de ces trois États est de manière inhérente la source principale d’affaiblissement du régime de non-prolifération représenté par le TNP. Alors qu’en est-il si des États dotés commencent à procéder à des transferts nucléaires à l’un de ces pays ? De prime abord, il paraît logique d’affirmer que cela constitue un affaiblissement encore plus important du traité, puisque ces transferts bafouent les règles établies. Mais un point de vue opposé peut-être argumenté. En effet, si au contraire, le fait de tracer une voie de coopération hors-TNP pour ces pays n’est-il pas une manière justement de d’inclure ces pays non-membres dans l’ordre nucléaire mondial sans avoir à renégocier le traité, et donc de sauver celui-ci ?

Le point de départ de cette possible nouvelle voie hors-TNP commence avec le débat sur l’aménagement des règles du Nuclear Suppliers Group (NSG) afin d’autoriser, sous certaines conditions, une coopération nucléaire civile avec l’Inde. Une telle coopération aurait paru inenvisageable trente en arrière. En effet, l’essai nucléaire indien de 1974, « Smiling Buddha », avait entraîné l’interruption des coopérations nucléaires civiles du pays avec les pays occidentaux. Il avait aussi été à l’origine de la création, la même année, du Club de Londres, transformé par la suite en Groupe des fournisseurs nucléaires.
Plus contraignant encore, en 1992, une mesure fut prise par le NSG décrétant un embargo nucléaire à l’encontre des États non membres du TNP et développant, comme l’Inde, un programme militaire, incompatible avec un accord de garanties généralisées. Le NSG avait ainsi adopté par consensus une règle générale selon laquelle aucune exportation de technologie nucléaire n’interviendrait en faveur d'États n’ayant pas accepté les garanties généralisées de l’AIEA, c'est-à dire le placement de la totalité de leur programme nucléaire sous le contrôle de l’agence de Vienne.
Mais en 2000, avec le rapprochement diplomatique opéré entre l’Inde et les États-Unis, ainsi que plusieurs pays occidentaux dont la France, le débat s’est tourné vers la question d’une évolution de cette doctrine d’exclusion des pays non-membres par le NSG. Cette évolution du débat est aussi due en partie aux problèmes énergétiques, qui prennent au début des années 2000 une place de plus en plus importante sur la scène internationale.

VERS UNE "JURISPRUDENCE NEW DEHLI"?

Le 6 septembre 2008, ces discussions ont ainsi abouti à la décision du NSG d’exempter l'Inde de la clause des garanties généralisées et de lui ouvrir ainsi une possibilité d’accès aux transferts nucléaires à finalités civiles, au vu de plusieurs engagements exprimés par New Dehli.
Parmi ces engagements figure un plan de séparation entre ses installations et activités nucléaires civiles d’une part et d’autre part militaires. Ce plan prévoit que les installations et activités civiles (10 réacteurs en service et tous les futurs réacteurs civils) seront placées sous les garanties de l’AIEA. L’Inde a également signé le 15 mai 2009 un protocole additionnel qui donne à l’AIEA des pouvoirs d’inspection et de contrôle plus étendus sur les installations et activités civiles soumises aux garanties. De plus, l’Inde s’est engagée à ne pas transférer de technologies d’enrichissement et de retraitement aux États qui n’en ont pas, et à établir un système national de surveillance des exportations à même de contrôler efficacement les transferts de matières, équipements et technologies nucléaires, sur la base des listes de contrôle des exportations et directives harmonisées avec celles du NSG. On retrouve bien là des mesures propres à celles du régime international de non-prolifération, mais dans une situation juridique hors de portée des règles du régime.
Enfin, l’Inde s’est aussi engagée à maintenir son moratoire unilatéral sur les essais nucléaires ainsi qu’à collaborer à la conclusion du traité « Cut off ».
Suite à ces engagements auprès des pays du NSG et des mesures prises par le gouvernement indien, le NSG a donc formulé une proposition de coopération à l’Inde en Août 2008. Le groupe a ensuite autorisé ses membres, avec l’approbation de la Chine , à transférer au pays des articles ou technologies destinés à des applications pacifiques dans les installations nucléaires civiles indiennes soumises aux garanties de l’AIEA. Par la suite, plusieurs accords de coopération nucléaire civile ont été conclus entre l’Inde et les Etats-Unis, la Russie et bien-sûr la France.

Cette décision du NSG a évidemment suscité des réactions négatives de la part du voisin pakistanais, s’insurgeant de ne pouvoir bénéficier du même traitement que l’Inde… C’est avec un toupet particulier qu’Islamabad se permet de telles remarques, alors que le réseau Khan a été révélé au grand public en février 2004 . Les pays du NSG ayant plaidé pour la signature d’un accord (les États-Unis, la France), n’ont d’ailleurs pas manqué de souligner la singularité de la situation indienne .

Alors que dire de cette potentielle nouvelle voie, notamment entamée par la France ?
Le cas israélien est particulier, car l'État juif ne reconnaît pas vraiment ouvertement son statut de puissance nucléaire. Mais les cas de l’Inde et du Pakistan sont comparables. Alors que les principes posés par le TNP ne leur sont pas applicables (en termes de désarmement et de non-prolifération), l’existence de leurs capacités nucléaires pose la question du statut, hors du TNP, de deux États assumant ouvertement le développement de capacités nucléaires, et du type de relations qu’ils peuvent entretenir avec le reste de la communauté internationale. Mais ce nouveau régime proposé par le NSG constitue peut-être la naissance d’une « jurisprudence New Dehli ». Tout du moins, ces engagements représentent autant de pas en direction d’un régime international de non-prolifération dont aucune discipline n’était jusqu’à présent applicable à l’Inde. Une voie s’est ainsi peut-être ouverte pour inclure dans l’ordre nucléaire mondial les pays non signataires du TNP sans avoir à renégocier le traité.

À la suite de cette décision du NSG, la France a montré sa satisfaction, et a fait paraître un communiqué dans lequel elle salue la décision : « La France salue cette avancée majeure.
Nous soutenons depuis longtemps, dans le cadre du partenariat stratégique franco-indien, l’ouverture de la coopération nucléaire civile avec l’Inde, qui lui permettra de concilier satisfaction de ses besoins énergétiques et lutte contre le changement climatique.
Cette décision marque également un progrès important pour le régime de non-prolifération nucléaire. La France se félicite à cet égard de la réaffirmation par l’Inde, le 5 septembre 2008, de ses engagements dans ce domaine pacifiques de l’énergie nucléaire.
»

En soutenant la proposition du NSG, il est vrai que la France ne peut que se réjouir qu’elle ait été adoptée. Non-seulement cela permet d’ouvrir une voie aux États non-membres du TNP, et donc d’une certaine manière de renforcer le traité, mais d’autre part cela veut dire qu’un nouvel horizon s’ouvre pour « l’équipe de France » du nucléaire. En effet, l'Inde doit accroître sa capacité de production électrique pour satisfaire des besoins énergétiques toujours plus importants. D'ici 2030, la capacité installée du parc électronucléaire indien pourrait ainsi atteindre 63GW. Et les concurrents se tiennent déjà prêts. GE-Hitachi Nuclear Energy, coentreprise de General Electric et Hitachi, ainsi que Westinghouse Electric et le groupe russe Atomstroyexport se sont déjà montré intéressés par le marché indien. Dans cette course pour New Dehli, La France, elle, n’est plus dans les starting-blocks, elle est déjà lancée grâce au contrat d’Areva signé le 4 Février 2009.

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