mardi 14 juin 2011

Polémique autour de l’utilisation par l’armée US d’armes à l’uranium appauvri à Fallouja en 2004

Un char Abrams M1A1 patrouillant le long de la frontière irako-syrienne

Si la prudence reste de mise, les doutes semblent s’accroître sur le lien entre l’utilisation supposée par l’armée américaine d’armes utilisant de l’uranium appauvri (UA) lors de la bataille de Fallouja en novembre 2004 et des taux alarmant de malformations congénitales observées par le service pédiatrique de l’hôpital de la ville. C’est ce lien que de nombreux médias et quelques scientifiques semblent continuer à affirmer jusqu’à encore très récemment. Affaires Internationales revient sur cette polémique.

Utilisation d’uranium appauvri

L’UA est utilisé pour densifier la tête de l’obus, et ainsi augmenter de manière significative les capacités perforantes de l’ogive. Le but est de percer le blindage des chars, mais aussi d’atteindre des cibles enfouies en profondeur, comme un bunker sous-terrain. Cette matière, déchet du fonctionnent des centrales nucléaire, est utilisée dans le secteur industriel depuis les années 70. La première utilisation sur un champ de bataille remonte en revanche à la 1ère guerre d’Irak. Il y a été estimé qu’environ 940 000 cartouches de 30 mm contenant chacune 300 grammes d’UA ont été tiré par les avions A-10 Thunderbolt. Les canons des chars américains M1A1 Abrams auraient tirés environ 4 000 d’obus de 120 mm, contenant 1 kg d’UA chacun contre les chars irakiens T-72.
Le total serait ainsi de globalement 300 tonnes d’uranium appauvri déversé sur les territoires irakiens et koweitiens. La toxicité radiologique de l’UA correspond à la moitié de celle de l’uranium naturel.

Les constats

Dans l’hôpital de Fallouja, ville située à 50km environ de Bagdad, des observations de taux anormalement élevés de graves malformations de bébés ont été successivement relayées par Sky News en 2008, The Guardian en novembre 2009, la BBC en mars 2010 et très récemment par la journaliste Angélique Férat de France Info le 10 juin 2011.
Les reportages accompagnés de photos, relatent plusieurs chiffres. Sky News rapporte 200 cas de malformations consécutivement au bombardement de la ville. The Guardian interroge un pédiatre qui donne le chiffre de 37 bébés malformés en à peine 3 semaines.
Il est très difficile d’évaluer ces constats, car aucune information ne vient détailler la situation avant la bataille de Fallouja, ce qui permettrait de certifier le lien de cause à effet entre les armes utilisées et les malformations. Affaires Internationales appelle alors à la prudence.

Suite à ces reportages, deux enquêtes scientifiques ont été menées. La première a été initiée par Christopher Busby, directeur de l'agence de consultation environnementale Green Audit, reconnu pour sa dénonciation des armes utilisant de l'uranium appauvri, et par Malak Hamdan et Entesar Ariabi. Les résultats ont été publiés en juillet 2010 dans l'International Journal of Environmental Research and Public Health.
D’après les scientifiques, le taux de mortalité de 2006 à 2009 à Fallouja s'élèverait à 80 ‰, alors que comparativement l'Egypte et la Jordanie présentent des taux respectifs de 19,8 et 17 ‰.

Une seconde étude publiée dans le même périodique et menée par une autre équipe scientifique démontre qu’un nouveau-né à Fallouja présente 11 fois plus de chances de naître avec des malformations que dans le reste du monde. Il apparaît qu’en mai 2010, 15 % des 547 enfants nés présentent de sérieuses malformations, tandis que 11 % sont nés prématurément (avant 30 semaines de grossesse).

Les causes

L’étude mentionne clairement la possibilité que ce soit l’utilisation d’UA qui soit à la base de ce drame sanitaire.
D’autres sources évoque en revanche d’autres facteurs tels que la pollution de l'air, des pesticides et autres polluants chimiques. Ces mêmes facteurs avaient été avancés pour expliquer les « maladies mystérieuses » dont souffraient les vétérans de la 1ère guerre d’Irak.
Les malformations natales de Fallouja auraient-elles les mêmes causes que les maux du « syndrome de la guerre du Golfe » ?

Le « syndrome de la guerre du Golfe »

En 1991, des anciens combattants américains de l’opération Tempête du Désert en 1991 se plaignaient de souffrir de fatigue, de perte de mémoire, de douleurs, de chute de cheveux, de problèmes intestinaux et cardiaques. La plupart des plaintes ne concernaient ainsi pas des dommages génétiques. Ont été mis en cause à l’époque des produits tels que la fumée du pétrole, les pesticides, ainsi que les radiations provenant d’armes à l’UA.

Ces maux, appelés « syndrome de la guerre du Golfe, ont été reconnus dans un rapport rendu par le Comité consultatif de recherche sur les maladies des anciens combattants de la guerre du Golfe en mai 2008. Ce comité, composé de scientifiques et de vétérans, affirme que le syndrome de la guerre du Golfe est bien réel, et que plus d'un quart des 700.000 anciens combattants du conflit du début des années 1990 en souffrent. Cependant si les substances chimiques toxiques dont des pesticides et un médicament prescrit pour protéger les soldats contre des gaz neurotoxiques sont mis en cause, le rapport ne s’attarde pas sur le lien entre UA et dommages génétiques. Le récent rapport ne permet donc pas d’incriminer l’UA pour les « bébés monstres » de Fallouja. Apparemment pas les mêmes causes, et pas les mêmes effets.

Mais certaines histoires personnelles faisant suite à la 1ère guerre du Golfe ne sont pas sans rappeler ce que constatent aujourd’hui journalistes et scientifiques dans la ville irakienne. Le Monde Diplomatique cite le cas du sergent Daryll Clark, dont l’équipe se trouva à proximité de chars irakiens tout juste détruits par des obus américains utilisant de l’UA. Après la guerre, sa petite fille naquit avec des angiomes et une absence de thyroïde qui, selon les médecins de l’armée, pourraient être dus à l’exposition du soldat à l’UA.

D’après un rapport confidentiel provenant de l’Autorité britannique de contrôle de l’énergie atomique au gouvernement dévoilé en novembre 1991 : « Il est certains endroits où suffisamment de salves ont été tirées pour que la contamination des véhicules et du sol excède les limites permises et présente un risque à la fois pour les équipes de nettoyage et la population locale (...). Il serait imprudent pour elles de rester à proximité de grandes quantités d’UA pendant de longues périodes, et cela concerne évidemment les gens qui collectent ce métal lourd et le conservent.» Plus précisément, le rapport déclare que le danger le plus important provient de la poussière d’uranium produite lorsque les ogives frappent et incendient des véhicules. Quand les particules sont inhalées, elles peuvent entraîner « une dose inacceptable pour l’organisme ». Transformée en aérosol lors de l’impact, la matière radioactive dont les fines particules sont facilement emportées par les vents, sont aisément absorbées, chimiquement toxiques pour les reins et radiologiquement dangereuses pour les poumons.

Une polémique scientifique qui dure depuis 1991

Le lien entre utilisation d’armes renforcée à l’uranium enrichi et malformations natales est controversé déjà depuis la 1ère guerre du Golfe.
Etablissant un lien certain, un rapport publié par un ingénieur pétrochimique irlandais démontre un taux de décès passant de 2,4 en 1989 à 16,6 en 1993 décès pour 1 000 enfants irakiens de moins de 5 ans, ainsi que la multiplication par 4 des cas de leucémies dans les régions où des obus renforcés à l’uranium appauvri ont été utilisés.
Au contraire, un rapport d’un expert en armement chimique à l’Université de Sussex au Royaume-Uni, le docteur Richard Guthrie affirme que la preuve du lien entre l’utilisation d’uranium appauvri et les maladies natales ne peut être établie. Il rejette la cause sur le gaz moutarde, utilisé par l’armée irakienne durant la guerre avec l’Iran. Des vétérans iraniens de la guerre Iran-Irak, auraient ainsi développé des cancers et des malformations natales auraient suivis.
De même, une autre étude provenant du journal de médecine New England Journal of Medicine nie également le lien entre UA et malformations natales.

Au final, afin d’établir des conclusions fiables, il serait aujourd’hui nécessaire de mener une étude sur les taux de malformations à plus long terme, en comparant les chiffres relevés avant la guerre Iran-Irak, après la 1ère guerre du Golfe, et après la seconde guerre d’Irak. Autrement, ce n’est qu’une bataille d’expert sans véritable force probatoire. La prudence est donc de mise.
Aucune convention particulière ne vient régir l’utilisation de ce type d’armes. En revanche, il paraît évident que cette utilisation faillit au respect de 4 règles fondamentales des lois et coutumes de la guerre concernant les armes dans un conflit. Ces règles comportent 4 « tests », le « test territorial », le « test temporel », le « test d’humanité » et le « test environnemental ». Les armes utilisant l’UA faillissent à ces 4 tests d’après la plupart des experts.

L’erreur est peut-être de chercher à incriminer une unique arme…
En effet, le gouvernement de G.W. Bush a avoué avoir utilisé pendant cette même bataille de Fallouja du phosphore blanc… Avoir recours à ce produit est interdit par le protocole III de la Convention sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi de certaines armes classiques (CCWC) (non-ratifié par le sénat US, certes), entré en vigueur en 1983, qui interdit les armes incendiaires contre des civils, et contre des bases militaires situées « à l’intérieur d’une concentration de civils ». De par l’aveu même de l’armée américaine, le phosphore blanc est considéré comme une « arme psychologique », partie intégrante de la tactique « shake n’ bake » (secouer et cuire) pour débusquer l’ennemi.
Ainsi, quand un champ de bataille tel que Fallouja a subi le gaz moutarde, des obus à l’uranium appauvri, des pesticides, et des bombes au phosphore blanc, peut-on encore espérer que la population ayant survécu n’ait pas subi de dommages irrémédiables ?

Pour en revenir à l’uranium appauvri, feu le Général Pierre-Marie Gallois qualifiait son utilisation de « monstrueuse imbécillité militaire ». « […] Les Américains n’ont pas réfléchi aux conséquences. Voulant rendre leurs munitions plus efficaces, ils ont agi en apprentis sorciers ». Ce grand spécialiste du nucléaire se serait très certainement emparé de cette question. Laissons le donc conclure : « la guerre des chars est moralement admise ; si l’on équipe ces chars de telles munitions, cela voudra dire que la guerre chimico-nucléaire est désormais admise moralement, que la contamination par radioactivité devient normale ».

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire